CNRACL la caisse de retraite déficitaire

Retraites : le régime des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers part à la dérive
Article de presse
Si aucune mesure n’était prise, la dette accumulée par la caisse de retraite pourrait devenir « létale », selon un rapport de trois inspections générales dévoilé vendredi 27 septembre.
Par Bertrand Bissuel Publié aujourd’hui 30 septembre à 10h54, modifié à 11h31
L’addition risque d’être salée pour les hôpitaux publics et les collectivités territoriales. Leurs agents sont affiliés à une caisse de retraite dont les comptes plongent dans le rouge à une vitesse préoccupante. Le « statu quo » devenant « impossible », des mesures énergiques s’imposent « pour éviter la constitution d’une dette financière létale », d’après un rapport alarmant coréalisé par trois inspections générales (administration, affaires sociales, finances), qui a été rendu public vendredi 27 septembre.
Les efforts à fournir impliquent – entre autres – une hausse des cotisations versées par ces deux catégories d’employeurs, donc des dépenses accrues. Une solution ardue à mettre en œuvre : les établissements de santé sont eux-mêmes en butte à des difficultés budgétaires, tandis que les exécutifs locaux se voient sommés par Bercy de réduire leur train de vie.
En 2023, le régime de pension des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers (connu sous le sigle CNRACL) était en déficit de quelque 2,5 milliards d’euros. Si aucune correction n’était apportée, la situation pourrait se dégrader de façon spectaculaire : − 5,4 milliards d’euros en 2025, − 8,6 milliards d’euros en 2027, − 11,1 milliards d’euros en 2030.
Dans un rapport, la Cour des comptes avait déjà alerté en mai sur une telle dérive en soulignant que le « trou » dans cette caisse représenterait, en 2027, les trois quarts du déficit de l’ensemble des régimes de retraites de base et du fonds de solidarité qui finance le minimum vieillesse.
1,46 cotisant pour 1 retraité
Le problème s’explique principalement par la démographie : le nombre de cotisants rapporté à celui des retraités n’a cessé de baisser, passant de 4,53 au début des années 1980 à 1,46 aujourd’hui, soit un ratio inférieur à celui mesuré sur tout notre système par répartition (1,71).
Les personnes dépendant de ce régime ont une espérance de vie plus importante que la moyenne, du fait, notamment, de la part importante des femmes dans la main-d’œuvre des établissements de santé – et beaucoup d’entre elles bénéficient de dispositifs de départs anticipés à la retraite : dérogations en faveur des « carrières longues », règles spécifiques pour les fonctionnaires exerçant des métiers pénibles ou dangereux qui leur permettent de réclamer leur pension avant l’âge légal de droit commun.
Le phénomène a été accentué par les politiques de recrutement des hôpitaux et des collectivités territoriales. De plus en plus de contractuels ont été embauchés. Or, ils versent leurs cotisations vieillesse à d’autres caisses de retraite.
Des « besoins de trésorerie systématiques depuis 2022 »
Enfin, les mécanismes de compensation financière qui existent entre les différents régimes se sont traduits, durant des années, par des ponctions d’argent sur la CNRACL. Et pour ne rien arranger, certains employeurs publics (parmi lesquels des hôpitaux dans les outre-mer) sont dans l’incapacité de régler leurs contributions, les créances s’élevant à quelque 400 millions d’euros.
C’est pourquoi les « besoins de trésorerie » sont « systématiques depuis 2022 » : la CNRACL a « une trésorerie négative tous les jours », selon l’audit diffusé vendredi. Elle emprunte, moyennant des frais financiers qui « pourraient atteindre 1,5 milliard d’euros en 2030, soit 4 % du montant total des cotisations ».
Pour ramener le régime sur la ligne de flottaison, les trois inspections générales formulent une dizaine de pistes : instauration au profit de la CNRACL d’une contribution prélevée sur les salaires des contractuels, refonte des modalités de compensations financières entre caisses de retraite, prise en charge par d’autres branches de la Sécurité sociale de certains avantages (par exemple la majoration pour enfants), etc.
Pour les auteurs du rapport publié vendredi, le « redressement » ne pourra être engagé « que dans le cadre plus global d’un dialogue entre les employeurs territoriaux et hospitaliers, d’une part, et l’Etat, d’autre part »: pour les premiers, cela implique d’ajuster à la hausse leurs taux de cotisations tandis que le second doit envisager d’endosser « une partie des déficits accumulés et les intérêts qui en découlent pour ne pas rendre vains tous les efforts » qui pourraient être réalisés par le régime.
Sollicité par Le Monde, Philippe Laurent, président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, « prend acte » des constats et préconisations des trois inspections générales. « Nous n’échapperons sans doute pas à un surcroît de cotisations, mais la réflexion doit aller au-delà et conduire à une remise à plat de tout le système de retraites. »